Le Métro De La Mort

2002 - CDR
Description : Le métro vous déporte
Détails : Costes - Discogs
Extraits : Costes


Le meilleur album de Jean-Louis Costes est, il me semble, un disque relativement peu connu intitulé Le Métro De La Mort et gravé en 2001. Il est peu connu parce qu’il ne parle pas trop de bite, ni de merde ni de massacres de « bougnoules », de Juifs, d’Arabes ou de qui que ce soit. C’est peut-être aussi pourquoi il est le meilleur. Parce qu’il n’est ni ouvertement dégueulasse ni ouvertement provocateur. Il dit le cœur de Costes, sans les provocations les plus visibles qui retiennent habituellement l’attention de ceux qui ne comprennent rien à Costes. Le Métro De La Mort commence ainsi, dans une ambiance sonore bizarre faite de divers bruits de métro : « Ils, ils, ils savent bien… Tout le monde sait, mais tout le monde ferme sa gueule… » Dans le troisième morceau il poursuit : « Je marchais vers le métro comme d’habitude et je pensais à des trucs bizarres (…) Je ne sais pas comment dire… et ça m’inquiétait… et j’avais peur !!! » Puis Costes de hurler dans le quatrième morceau : « Bien serrés dans les wagons ça vous fait pas penser à quelque chose ? Ça vous fait pas penser à Auschwitz ? (…) Bien serrés dans les wagons du métro à six heures du soir vous pensez à rien du tout merde ? Mais ça vous fait pas penser aux cochons qu’on emmène à l’abattoir ? (…) Vous croyez aller tranquillement à la gare du Nord, mais au fond qu’est-ce que vous en savez ? (…) Vous faites confiance à la RATP ? Quand le train s’arrêtera ce sera trop tard ! Et alors vous direz : Ah ben merde là c’est pas la gare du Nord… C’est où la porte de la Chapelle ? La Chapelle - Auschwitz ! La Chapelle - Auschwitz ! » Et ici comme ailleurs, bien malin celui qui saura dire qui au juste Costes dénonce, critique ou insulte. Même si l’obscénité n’est pas le thème central du disque, chacun en prend quand même pour son grade. Certes les Juifs sont au premier rang puisqu’ils sont censés organiser l’holocauste des usagers du métro (!), mais les Arabes, les Musulmans et les Chrétiens sont également tournés en ridicule. Et Costes le dit d’ailleurs : « N’importe quoi Costes ! Ça arrivera jamais ces conneries… Ok les gars excusez-moi, je dis n’importe quoi… » Plus loin, un morceau affirme même : « Tout est juif. Tout est juif. Tout est juif. La loi, la foi, les rois, des Juifs et des Arabes, des Juifs et des Chrétiens. Ils sont le peuple élu. Nous sommes le peuple parvenu. » Comment interpréter cela ? Un éloge fasciné du judaïsme ou son contraire ? Une fois encore, il serait vain de lire Costes en crétin antisémite. Car le propos de Costes est plus profond que cela.

Dans Le Métro De La Mort, Costes nous dit que l’attaque faite à l’homme dans les sociétés modernes est, non pas identique, mais comparable, à l’attaque faite à l’homme par le nazisme de 1940. Au même titre d’ailleurs que l’essence même du nazisme de 1940 est déjà présente dans la guerre de 14-18. Le fait que le génocide délirant de Costes soit mené dans son album par les Juifs est une caricature dont le but n’est pas de critiquer « les Juifs » en tant que tels, mais bien le processus de civilisation et de moralisation extrême, en effet initié par le Judaïsme au sens large, poursuivi par le Christianisme et l’Islam, et toujours omniprésent aujourd’hui. En somme il s’agit d’attaquer l’hyper civilisé qui a pris le pouvoir dans nos têtes et nous coupe à la fois de notre liberté, de nos désirs et de la vie. L’hyper civilisé qui est en nous, c’est le prêtre, le rabbin, l’imam et la morale, la loi, le flic, le psy, le juge et tout ce petit monde que les bourgeois – c’est à dire nous ! – ont désormais intégré dans leur chair et dans leur crâne comme une seconde nature. L’hyper civilisé qui est en nous, nous empêche à la fois d’être libre, d’être heureux et même sans doute d’être authentiquement juif, chrétien ou musulman dans ce que ces religions peuvent avoir de fin et de profond. L’hyper civilisé qui est en nous et dont Costes nous parle, c’est finalement l’imbécile d’Occident qui au lieu de faire face à la vie s’en détourne à coups de grand principes et d’imbécillités – que celles-ci soient juives, musulmanes, catholiques… ou même athée.

Souvent je prends le métro ou le RER à Paris et je pense à cet album de Costes, Le Métro De La Mort. Voyant les individus, en masse, se serrer volontairement les uns contre les autres afin de se rendre sur le lieu d’un travail qu’ils n’aiment pas et qui les oblige chaque matin à quitter ce qu’ils aiment, à savoir leur lit, leur conjoint, leur maison, leurs enfants, leurs amis, leurs loisirs, leurs désirs, je ne peux m’empêcher en effet de voir là des micro-génocides. Une agression terrible faite à l’homme. Sa réduction à rien, sa néantisation, sa « Vernichtung ». Ces micro-génocides n’ont pas grand chose à voir avec ceux de la Seconde Guerre Mondiale, mais, eux, sont reproduits chaque jour. Mis bouts à bout, ils aboutissent bien au même résultat : une humanité domestiquée, fatiguée, dévitalisée, une humanité morte.

Chaque jour aux heures de pointes, le RER A vomit par milliers à la station Défense des êtres pâles et tristes qui revêtent chaque matin l’uniforme adapté à leur fonction sociale. Le cadre encravaté qui enlève sa cravate dès sa journée terminée et qui se convainc dans sa misère totale qu’il a tort de se plaindre puisqu’il a fait les études et obtenu le métier qui permet d’être un « privilégié ». La secrétaire vêtue en secrétaire qui côtoie et contemple les sommets tout en sentant qu’elle n’appartiendra jamais, réellement, à la classe de ses chefs. La vendeuse de fringues standardisées sommée de s’habiller avec les nippes « fashion » qu’elle est contrainte de vendre et qu’elle finit par prendre – usée qu’elle est par le flot continu de messages publicitaires débilitants – pour le sens même de la vie. Non ce n’est pas Auschwitz, mais c’est Auschwitz quand même… Et Costes de conclure : « Je me suis rendu compte qu’on vivait tous sans le savoir dans un immense camp de concentration (…) ».

Costes, c’est une évidence, fait bien la différence entre aujourd’hui et 1940, entre les Juifs et les nazis, entre le judéo-christianisme et le fascisme, entre la société d’esclaves technicisés et la radicalité génocidaire nazie. Mais contrairement à ceux qui éludent toute question sur le monde d’aujourd’hui au prétexte que « c’est quand même mieux que le fascisme », Jean-Louis Costes au contraire ne s’intéresse qu’à aujourd’hui et n’est pas en effet un adepte du « devoir de mémoire ». Costes voit notre époque, rien que notre époque, et il en a la nausée. Pour vomir, pas la peine de penser aux odeurs de 1940. Celles d’aujourd’hui suffisent. Dans l’œuvre de Jean-Louis Costes résonnent les mots de Ernst Jünger qui, à l’image de Costes, fut un être ambigu et génial. Dans son Traité du rebelle (ou le recours aux forêts), Jünger écrit : « L’homme tend à s’en remettre à l’appareil ou à lui céder la place, la même où il devrait puiser dans son propre fonds. C’est manquer d’imagination. (…) Tout confort se paie. La condition d’animal domestique entraîne celle de bête de boucherie ».

Le Métro De La Mort dont nous parle Jean-Louis Costes est bien sûr ridicule au sens où il n’y a pas – sauf très gros secret d’Etat ! – de ligne directe pour Auschwitz dans le réseau de la RATP. Mais le métro de la mort existe bel et bien. Le métro de la mort c’est l’entrelacs terrible de machines, de recettes, de techniques, d’opinions non pensées et de slogan imbéciles qui envahit le monde et qui nous envahit. Nous l’intégrons à nous, il nous intègre à lui. Nous pensons dans et avec la machine, comme la machine. Nous devenons des esclaves triomphants de notre propre misère technicisé et déshumanisée. En cela nous perdons ce qui fait notre honneur et fonde ce que nous sommes. Ne nous concevant plus – nous-mêmes, de notre propre chef, sans pression extérieure ! – que comme des ressources humaines à vendre sur le marché, quel que soit ce marché, psalmodiant tels des ânes des opinions journalistiques qui tombent d’en haut comme des déchets et que nous finissons par prendre pour notre pensée propre, nous devenons des loques et des esclaves dont le dernier recours consiste en un mélange d’arrogance et de prétention ou éventuellement en des actes compulsifs de consommation au sens large (de la barre chocolatée à la prostitution en passant par les divertissements ou la voiture de sport).

Que déduire de tout cela ? Faut-il haïr les Juifs ? Brûler la Torah ? Brûler Lionel Jospin, Jacques Chirac ou Nicolas Sarkozy avec de l’huile produite en Israël ? Allons… Pas une seule proposition de ce type chez Jean-Louis Costes. Costes n’indique jamais de politique pratique car son propos n’est pas la politique, ni même le politique. Costes ne sait pas quoi faire. C’est peut-être sa faiblesse, mais c’est aussi sa force, la force qui lui permet de ne pas être dans « l’opinion » mais toujours dans l’expérimentation absolument brute et vraie des tréfonds de son âme et de l’âme du monde. Costes n’édicte pas de programme politique, il ne donne même pas son « avis ». Il dit la vérité. Mais l’apolitisme de Costes a, de fait, une lourde conséquence politique, celle de démystifier d’une manière radicale et décapante la totalité des « discours politiques », c’est à dire les mensonges de ceux qui préfèreront toujours le pouvoir et ses représentations à l’individu et ses expérimentations.