Le Fantôme D’Archie Shepp

2015 - LP
Description : Enregistrement live piano/voix
Extraits : Disques Charivari


Jean-Louis Costes est un artiste protéiforme et un performeur incontournable de la scène underground française. Connu de beaucoup mais peu reconnu, il ne cadre avec aucune esthétique existante et n’est finalement légitime dans aucune scène musicale où théâtrale.

Depuis le milieu des années 1980, Costes a produit une trentaine de K7, plus de soixante CD/CD-R (dont plus de la moitié sont disponibles sur iTunes) ainsi que plusieurs LP. D’une manière générale, ses morceaux sont basés sur des mélodies pop minimalistes, puis sont ensuite plus ou moins déconstruits et perturbés par un chant qui oscille entre chanté, parlé et braillé. Le résultat obtenu est une sorte de chansonnette bruitiste aux paroles explicites et aux ambiances toujours très variées. Costes a aussi a écrit de nombreux articles, puis ensuite plusieurs livres, il a produit de nombreux dessins et a aussi fait des installations et des expositions. En plus de ses propres films, il a été acteur dans des longs-métrages plus traditionnels, notamment dans Baise-Moi de Virginie Despentes et Coralie Trinh Thi, Lilith d’Ovidie et surtout dans Irréversible de Gaspar Noé. Enfin, Jean-Louis Costes reste célébré comme le messie de l’underground pour ses opéras porno-sociaux, ces performances où il y théâtralise à l’extrême son univers.

Après 30 ans de carrière et plus d’une centaine de productions musicales tous supports confondus, est sorti en octobre 2015 son premier disque live : Le Fantôme d’Archie Shepp.

Structurellement épuré puisque en mode minimaliste piano/voix, et donc très éloigné des compositions pop-noise qui le caractérisent tant, cet album se présente comme une « compilation de ses meilleurs refrains joués sur un piano à queue ». L’analyse de cette sortie va nous permettre d’observer si, dans cette configuration spécifique, Costes atteint cet objectif maintes fois rêvé : créer une nouvelle forme de variété, aux paroles réalistes et crues.

Le Fantôme d’Archie SHEPP

Édité par les Disques Charivari, ces morceaux proviennent d’un concert organisé aux Instants Chavirés à Montreuil en juin 2014, dans le cadre d’une soirée Chanson Française Dégénérée. En plus de ses nombreux opéras pornos-sociaux, depuis 2008 Costes fait aussi des concerts plus traditionnels, parfois assisté d’autres musiciens mais très majoritairement seul, et même si cela c’était déjà produit, au sein d’une formation ou en solo, uniquement accompagné d’un piano est malgré tout inédit.

De prime abord, cette vision de Costes seul au piano peut laisser perplexe. La reproduction sur l’insert du vinyle d’un évènement emblématique du mythe Costien rassurera l’auditeur inquiet. « Ce qui s’est passé en fait, c’était pendant un concert. Je ne sais pas par quelle erreur de programmation j’étais avant Archie Shepp. Non mais n’importe quoi, mais bon. Et les mecs ont tellement sifflé que j’ai pris le micro, par énervement, j’ai baissé mon froc et je l’ai mis comme ça dans mon cul. Après je remets le truc sur le pied de micro, Archie Shepp voulait pas monter sur scène parce qu’il avait un micro sale. Là j’avais fait le show hein ! Ça a stoppé le festival. »

Tout en lui procurant son titre, cette anecdote truculente donne en quelque sorte le ton de l’album. Par un vil retour du destin, le revenant du jazzman réapparaîtra d’ailleurs pour se venger de cette humiliation passée. Sur la fin du concert, le fantôme d’Archie Shepp vient prendre possession du corps de Costes, pour le malmener avec des délires free-jazz conceptuels autant que pittoresques. À chaque écoute ou visionnage, cette improvisation ubuesque conserve son caractère purement désopilant. Vous l’avez compris, les Costiens qui, à la proposition de ce disque, auront eu une vision de papy Jean-Louis pianotant gentiment ses chansonnettes, vont très vite se rendre compte de leur erreur.

Même simplement armé d’un piano, Costes dépasse les limites que l’on pourrait attendre d’un tel instrument. Tout d’abord, les arrangements sont mis en avant puisqu’aucune rythmique n’accompagne les morceaux. Cette mise en valeur des mélodies est intéressante car le néophyte pourrait imaginer que Costes n’est pas spécialement un bon musicien. Or il a étudié le piano classique et le pratique toujours régulièrement. Il a même été organiste à l’église de sa paroisse en 2014, et il y fait encore quelques remplacements occasionnels. Bien sûr lors du concert il y a de l’expérimentation, mais la musicalité de Costes au piano étonne tout de même par son aisance. Les possibilités d’improvisation liées à l’instrument l’amènent à retrouver la spontanéité de ses plus folles créations de studio, et la simplicité du dispositif met nettement en valeur les paroles. Sa performance vocale conserve quant à elle toute sa singularité : écorchée ou criée, mais aussi plus douce et intériorisée, on est bel et bien dans du style « Costes ».

Analyse comparative des chansons du disque :

« Lalalalaaaaaa » 
Voilà ce qui donne en premier lieu le charme de cet enregistrement : le fait qu’il reproduise l’intégralité du show, tests micro de cette fausse introduction y compris. La proximité avec l’évènement est palpable dès le départ.
(version piano)

« Enculé En Variété » (Enculé En Variété, 2008) 
« Pourtant c’est vachement romantique de se faire enculer sur de la variété. » : un classique de la chanson française 2.0. Par rapport au titre original, Costes accentue le côté tragique de la situation en précisant que l’auteur des faits est son père. Hé oui, l’inceste chanté en variété, c’est Costes qui l’a inventé ! Ce titre prend quoi qu’il en soit une dimension encore plus burlesque dans cette réinterprétation.
(version piano / version originale)

« Montre Moi Ton Zizi » (Enfant Criminel, 2001) 
Cette scénette familiale où pipi et sperme sont de la partie est bien plus développée dans cette version que celle en studio. L’ambiance est à la crise hystérique progressive, et la palette sonore du piano délimite les sentiments et les relations des différents personnages. Grâce au nombre d’intervenants présents dans l’histoire, ce morceau se rapproche d’une certaine manière de l’énergie de ses opéras pornos-sociaux.
(version piano / version originale)

« Démon Dehors » (Enculé En Variété, 2008) 
Originellement plutôt tendu et bizarrement malsain, ce titre a dans cette version un rendu moins obscur que l’originale, mais maintient néanmoins une ambiance insomniaque tout aussi extravagante.
(version piano / version originale)

« La Drogue La Mort La Nuit » (Pas Encore Mort, 1997) 
Chanson culte pour nombre de Costiens qui, à sa première écoute, se sont tout simplement demandé : comment ai-je pu vivre toutes ces années sans connaître ce morceau ? Le texte de ce titre conserve son emprise émotionnelle, mais cette version, à l’interprétation forcément éloignée de la répétitivité aliénante de l’originale, y perd de sa sombre intimité.
(version piano / version originale)

« La Danse Des Crottes » (Aux Chiottes, 1997) 
En mode dessin animé, Costes donne la vie aux crottes, qui sortent le soir des toilettes pour embêter leurs créateurs. Le comique est le ressort principal de ce type de morceau et, en version live, il évolue très vite dans une digression improvisée et fatalement déjantée.
(version piano / version originale)

« Le Roi M’A Dit » (Les Fées Les Culs Les Tourments, 2007) 
Le texte de ce titre est une sorte de fable déviante assez énigmatique, mais il donne paradoxalement au morceau toute sa saveur. Adapté simplement au piano, la comptine qui en résulte est de plus en plus convulsive et délirante.
(version piano / version originale)

« Quand Viendra La Guerre » (Mes Peurs Et Mes Plaies, 2008)
ntroduit très émotionnellement, c’est finalement des paroles de chanson française que l’on pourrait aisément entendre à la radio qui sont ici mises en avant. Des débordements vocaux belliqueux, qui ne font pas partie de la version studio, agressent ensuite la chanson. Encore une fois, c’est cette configuration théâtrale au piano qui permet à Costes d’improviser son texte, et de rendre le morceau immanquablement plus vivant.
(version piano / version originale)

« Cloclo » (inédit, 2014)
C’est Claude François qui a initié Costes à la musique et, si vous ne le saviez pas, ce titre est là pour en témoigner. Cette chanson très jubilatoire s’emballe rapidement pour enchaîner avec le titre éponyme de l’album. Morceau qui n’en est pas vraiment un, puisqu’on assiste en fait à une improvisation surréaliste où, en invoquant le fantôme d’Archie Shepp, Costes nous prouve, s’il en était encore besoin, que ses talents de performeur sont toujours hors des limites.
(version piano)

« Seule La Musique » (Nik Ta Race, 2000)
« L’homme est une merde. L’homme est une ordure. Vous savez bien que la méchanceté est partout. Que la folie est partout. Et que la maladie et la mort sont la seule issue à toute cette misère infernale. » Voici les mots par lesquels commencent ce bilan sociétal implacable. Le texte rattrape le piano. Le piano soutient les paroles. Et le morceau se trouve ainsi magnifié en une complainte humaniste et brute.
(version piano / version originale)

En définitive, ce qui se dégage véritablement de cet album si singulier est un sentiment étrange mais persistant, quant à cette mise en perspective de Jean-Louis Costes en tant qu’authentique artisan de « chanson française ».

Auteur : Cyril Adam
Webzine Rythmes Croisés

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Back cover du LP

Insert du LP